CHAPITRE 1
— Ma chère Peabody, déclara Emerson, reprenez-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que l’insatiable appétit de vivre qui vous caractérise si bien vous fait quelque peu défaut, tout particulièrement en une occasion pareille. Depuis l’heureux jour qui nous a unis, jamais nuage n’est venu troubler le ciel limpide de la félicité conjugale. Et ce fait remarquable provient, je n’en doute point, de la parfaite communion qui est la nôtre. Confiez-vous, je vous en implore, à l’homme fortuné qui a pour mission de vous soutenir et de vous protéger, et dont le plus grand bonheur est de partager le vôtre.
Emerson avait certainement dû préparer cette harangue. Personne ne parle ainsi au cours d’une conversation ordinaire.
Je savais pourtant que ce discours solennel ne rendait pas justice à l’amour sincère qui l’avait inspiré. Mon cher Emerson et moi-même sentons et pensons à l’unisson depuis le jour où nous nous sommes rencontrés au Musée Égyptien de Boulaq. (À vrai dire, notre première rencontre fut des plus houleuses. J’étais simple touriste à l’époque, et c’était mon premier voyage au pays des pharaons. Et pourtant, à peine avais-je posé le pied sur ce sol de légende que s’était allumée dans ma poitrine la flamme ardente de la ferveur égyptologique, flamme qui devait bientôt devenir passion dévorante. Je ne me doutais guère, ce jour-là au musée, alors que je me défendais bec et ongles contre les critiques injustifiées dont me bombardait ce fascinant inconnu, que nous nous reverrions bientôt, dans des conditions encore plus romanesques : dans un tombeau abandonné d’El Armana. Le cadre, à tout le moins, était romanesque. Mais Emerson, lui, n’avait rien de romanesque, je dois l’avouer. Toutefois, j’eus la subtile intuition que, sous les remarques caustiques et les regards noirs, son cœur ne battait que pour moi. Et cela devait se révéler exact.)
Sa tendre sollicitude ne le trompait pas. Un sombre pressentiment venait en effet assombrir la joie dont j’aurais dû normalement être envahie en un moment pareil. Nous nous tenions sur le pont du navire à bord duquel nous avions traversé la vaste Méditerranée sans traîner. La brise soufflant sur les eaux bleues nous ébouriffait les cheveux et plaquait nos vêtements. Devant, nous apercevions la côte égyptienne, sur laquelle nous allions poser le pied avant la fin de la journée. Nous étions sur le point d’entamer une nouvelle saison de fouilles archéologiques, encore une autre après toutes celles que nous avions déjà effectuées ensemble. Nous allions bientôt explorer les couloirs étouffants, infestés de chauves-souris, d’une pyramide, la chambre funéraire boueuse et inondée d’une autre – spectacles qui, en temps ordinaire, m’eussent fait frémir de plaisir anticipé. Combien de femmes – notamment en cette dernière décennie du XIXe siècle – avaient autant de raisons que moi de se réjouir ?
Emerson – qui préfère se faire appeler par son nom de famille, car il trouve « Radcliffe » affecté et efféminé (selon ses propres termes) – m’a choisie non seulement pour épouse, mais aussi comme partenaire à part égale dans la profession que nous avons tous deux le plaisir d’honorer. Emerson est le plus grand égyptologue que la terre ait porté. Je suis certaine qu’il sera vénéré au titre de « Père des Fouilles Scientifiques » aussi longtemps que la civilisation subsistera sur cette planète tourmentée. Et mon nom – celui d’Amelia Peabody Emerson – sera sauvegardé à côté du sien.
Pardonnez-moi cet enthousiasme, cher lecteur. Évoquer les hautes qualités d’Emerson ne manque jamais de susciter chez moi l’émotion. De surcroît, ses qualités ne se limitent pas au domaine de l’intellect. Je confesse sans vergogne que ses attributs physiques ne furent pas le moindre des éléments qui me décidèrent à accepter sa demande en mariage. De ses cheveux noirs comme jais couronnant son large front à sa fossette (qu’il préfère appeler son petit creux) au menton, il est l’archétype de la virilité et de la beauté.
De même, Emerson semble apprécier mon physique. Sincèrement, je n’ai jamais compris cette attitude. Je n’ai pas un type de beauté que j’admire. Des traits moins accusés, des yeux d’une teinte plus douce et plus pâle, une silhouette plus élancée et moins proéminente dans la région au-dessus de la taille, des boucles d’or resplendissantes et non pas toutes noires – voilà mon idéal de beauté féminine. Heureusement pour moi, Emerson ne partage pas cet avis.
Sa grande main brune était posée à côté de la mienne sur le bastingage. Ce n’est pas la main d’un gentleman ; mais, pour moi, les callosités et les cicatrices qui recouvrent ces deux mains vigoureuses et bronzées lui font honneur. Je me souvins des circonstances où elles avaient manié armes et outils au cours de son travail ; et il me revint aussi à l’esprit d’autres circonstances au cours desquelles elles avaient su faire preuve d’une délicatesse de toucher qui avait fait naître les plus exquises sensations.
Emerson possède nombre de qualités admirables, mais la patience n’en fait pas partie. Perdue dans mes songes, je ne répondis pas tout de suite à sa question. Il me saisit par les épaules et me tourna vers lui. Ses yeux bleus étincelaient comme des saphirs, ses lèvres se retroussèrent sur ses dents blanches, et sa fossette se mit à frémir, menaçante.
— Pourquoi diable ne me répondez-vous pas ? cria-t-il. Comment pouvez-vous rester indifférente à une telle supplique ? Qu’avez-vous donc, Peabody ? Je veux bien être pendu si je comprends quelque chose aux femmes. Vous devriez être à genoux pour remercier le Ciel – et me remercier, moi, par la même occasion – du bonheur qui vous attend. Il n’a pas été facile, voyez-vous, de persuader Morgan de nous laisser fouiller ce site ; il y a fallu tout le tact subtil dont je suis capable. Personne à part moi n’aurait pu réussir. Personne à part moi n’aurait été prêt à tenter la chose. Et comment me récompensez-vous ? En soupirant et en broyant du noir !
Il eût été aussitôt évident pour toute personne au fait des circonstances auxquelles il faisait allusion qu’Emerson s’abandonnait derechef à l’une de ses touchantes habitudes : l’aveuglement sur lui-même. M. de Morgan, le directeur du Service des Antiquités, nous avait certes autorisés à fouiller le site archéologique sur lequel il avait lui-même travaillé l’année précédente, lequel site s’était avéré fécond en découvertes remarquables. Toutefois le tact subtil d’Emerson – qualité qui n’existe que dans son imagination – n’y était pour rien. J’ignorais au juste ce qui avait amené M. de Morgan à changer d’avis. Ou, pour être plus précise, j’avais certains soupçons que je préférais ne pas évoquer. Je passai tout naturellement de ces soupçons au prétexte que j’invoquai alors pour expliquer mon humeur sombre.
— Je suis dans tous mes états au sujet de Ramsès, Emerson. Voir notre fils se conduire si mal, alors que j’avais espéré que nous pourrions faire cette traversée sans incident… Je me demande combien de garçons de huit ans ont été menacés par le capitaine d’un navire de commerce britannique d’être punis de la « cale humide » ?
— Le capitaine bluffait, il exagérait à la manière des marins, repartit Emerson impatiemment. Il n’oserait pas faire une chose pareille. Ne vous inquiétez pas pour Ramsès, Peabody. Il fait continuellement ce genre de chose, et vous devriez y être habituée.
— Ce genre de chose, Emerson ? Ramsès a fait un certain nombre de choses inqualifiables, mais à ma connaissance c’est la première fois qu’il a fomenté une mutinerie.
— Balivernes ! Tout cela parce que quelques marins ignares ont mal interprété ses laïus sur ce Marx…
— Il n’avait aucune raison de donner un cours à l’équipage, ni de se trouver dans leurs quartiers, du reste. Ils lui ont fait boire de l’alcool, Emerson, je le sais. Même Ramsès n’aurait pas répondu au capitaine en termes pareils s’il n’avait pas été pris de boisson.
J’eus l’impression qu’Emerson voulait protester, mais comme manifestement il était de mon avis, il resta coi.
— Ce qui est encore plus incompréhensible, poursuivis-je, c’est la raison pour laquelle les hommes d’équipage supportent la présence de Ramsès, et – plus étonnant – partagent avec lui leur « grog » chéri, je crois que c’est le mot. Quel plaisir peuvent-ils trouver à sa compagnie ?
— L’un d’eux m’a dit qu’ils aimaient l’entendre parler. « Quel bagout il a, c’moutard », voilà ses termes exacts.
Ses lèvres s’ourlèrent d’un sourire malgré qu’il en eût. Les lèvres d’Emerson figurent parmi ses caractéristiques physiques les plus admirables, ciselées et souples, bien pleines et pourtant d’une grande délicatesse. Je sentis mes lèvres esquisser à leur tour un sourire. Ce marin inculte avait mis dans le mille, comme qui dirait.
— Oubliez Ramsès, fit Emerson. J’insiste, Amelia, pour que vous me disiez ce qui vous tourmente.
En dépit de son sourire, il était fâché contre moi ; le fait qu’il utilisât mon prénom l’indiquait assez. « Peabody », mon nom de jeune fille, est celui qu’il utilise dans les moments de bonne entente conjugale ou professionnelle. Avec un soupir, je cédai.
— Un étrange pressentiment s’est emparé de moi, Emerson.
Emerson plissa les yeux.
— Vraiment, Amelia ?
— Je suis seulement surprise que vous ne le partagiez pas.
— En effet, je ne le partage pas. Pour le moment, les impressions les plus agréables s’offrent à moi. Pas un nuage…
— Vous avez exprimé votre opinion, Emerson. Et si vous me permettez, cette métaphore-là…
— Critiqueriez-vous mes tournures rhétoriques, Amelia ?
— Si vous devez vous formaliser de tout ce que je dis, Emerson, je ne peux me confier à vous. Je ne voulais pas assombrir votre bonheur par mes soucis. Êtes-vous certain de vouloir que je vous en fasse part ?
La tête penchée de côté, Emerson réfléchit.
— Non, répondit-il.
— Vous voulez dire que vous n’êtes pas certain, ou bien…
— Je veux dire que je ne veux pas que vous m’en fassiez part. Je ne veux pas entendre parler de vos pressentiments…
— Mais vous m’avez demandé…
— J’ai changé d’avis.
— Vous sentez donc quelque chose…
— Seulement depuis cet instant, rétorqua Emerson avec hargne. Bon sang, Peabody…
— Comme c’est étrange. Je croyais dur comme fer que nous étions en parfaite communion.
L’expression qu’arbora le beau visage d’Emerson aurait pu faire croire à un observateur que ce n’était pas une parfaite communion mais une fureur prête à éclater qui fronçait ses sourcils et noircissait son regard. Vu que j’avais moi-même quelques doutes sur la question, je me hâtai de satisfaire la curiosité qu’il avait exprimée quelques minutes plus tôt.
— Naturellement je me fais une joie du travail de cette saison. Vous connaissez mon enthousiasme pour les pyramides, et l’on ne pourrait guère trouver de plus beaux spécimens qu’à Dahchoûr. J’attends avec une impatience toute particulière de fouiller la chambre funéraire de la Pyramide Noire dans des circonstances plus propices que celles de notre première visite. Il n’est guère facile de faire appel à son sens critique lorsque l’on vient d’être plongé en pleine obscurité dans un puits souterrain inondé et qu’on est abandonné là pour y périr.
Emerson m’avait lâché les épaules et faisait de nouveau face au bastingage. Ses yeux fixaient l’horizon.
— Nous devons attendre que la saison soit plus avancée pour explorer la Pyramide Noire et que l’inondation ait atteint son niveau le plus bas. Si la chambre est toujours inondée, peut-être qu’une pompe…
— J’ai également réfléchi à ce problème, mon cher Emerson. Toutefois, là n’est pas la question pour le moment.
— Une pompe hydraulique, munie d’un tuyau…
— Avez-vous oublié, Emerson, les circonstances dans lesquelles nous avons découvert pour la première fois l’intérieur de la Pyramide Noire ?
— Je n’ai pas encore atteint l’âge où l’on souffre de pertes de mémoire, répliqua Emerson avec emportement. Et je n’ai pas oublié non plus votre réaction quand j’ai exprimé mon intention de mourir dans vos bras. J’avoue que j’avais compté sur un peu plus d’enthousiasme.
— Vous ne m’avez pas comprise, Emerson. Comme je l’ai dit sur le moment, j’aurais été heureuse que cela se produise au cas où nous n’aurions pu échapper à une destinée inéluctable. Je n’ai pas douté un seul instant, mon chéri, que vous trouveriez un moyen de nous sortir de là. Et je ne me suis pas trompée.
Je me rapprochai et m’appuyai contre son épaule.
— Ma foi, fit Emerson avec brusquerie. Nous nous en sommes sortis, n’est-ce pas ? Bien que, sans Ramsès…
— Ne parlons pas de Ramsès ni des circonstances dans lesquelles nous avons réussi à nous en sortir. Vous savez ce qui me tracasse, Emerson, car je suis sûre que la chose vous tourmente tout comme moi. Je n’oublierai jamais notre dernière rencontre avec le scélérat qui a failli causer notre perte. Je vois encore son sourire narquois, j’entends encore ses paroles méprisantes. « Nous allons donc nous dire adieu. Je ne pense pas que nous nous reverrons. »
Les mains d’Emerson serrèrent le bastingage avec une telle force que les tendons en saillirent comme du whipcord. Toutefois, devant son mutisme, je poursuivis :
— Et je n’oublierai pas non plus le vœu que j’ai formulé alors. « Nous nous reverrons, n’ayez crainte, car je me fais un point d’honneur de vous pourchasser et de mettre un terme à vos agissements criminels. »
Les mains d’Emerson se détendirent.
— Peut-être avez-vous pensé cela à l’époque, Amelia, observa-t-il d’une voix grincheuse, mais vous ne l’avez assurément pas formulé avant que ce jeune freluquet du Daily Yell ne vous interviewe en juillet dernier. Vous m’avez délibérément trompé quant à cette interview, Amelia. Vous ne m’aviez jamais dit que vous aviez invité O’Connell chez moi. Vous l’avez fait entrer et sortir en cachette, et vous avez donné l’ordre à mes propres domestiques de ne pas m’en parler…
— J’essayais seulement de vous épargner, mon chéri, sachant à quel point M. O’Connell vous est antipathique. Après tout, vous lui avez un jour fait descendre l’escalier à coups de pied…
— Jamais de la vie ! s’exclama Emerson, qui en était sincèrement persuadé. Mais j’en aurais été capable, si je l’avais surpris dans mon salon à sourire niaisement et à lorgner ma femme tout en s’apprêtant à faire imprimer un tas de mensonges sur mon compte. Sa version des faits était des plus embarrassantes. Et, de surcroît, inexacte.
— Là, Emerson, je ne partage pas votre avis. Je suis certaine que l’un de nous a lancé ce défi à la tête du Maître criminel. C’est peut-être vous qui l’avez lancé. Au cours de l’interview, il se peut que j’aie passé sous silence certaines des initiatives de Ramsès, car je trouve fort critiquable de donner aux enfants une trop haute opinion d’eux-mêmes. L’article était parfaitement juste à tous les autres points de vue, et, en ce qui me concerne, il ne m’a nullement embarrassée. Enfin quoi, ne puis-je faire l’éloge du courage et de la force de mon mari, ne puis-je le féliciter de m’avoir soustraite à une mort certaine ?
— Euh… Mmm, fit Emerson. Ma foi, Peabody…
— Écoutez-moi bien, Emerson : nous reverrons ce scélérat. Il a réussi à nous échapper, mais nous avons fait échouer son complot et nous l’avons privé de son trésor mal acquis. Il n’est pas homme à accepter la défaite sans tenter de se venger.
— Comment pouvez-vous affirmer cela ? Vous ne savez rien de cet individu, pas même sa nationalité.
— C’est un Anglais, Emerson. J’en suis convaincue.
— Il parlait arabe avec autant de facilité que l’anglais, observa Emerson. Et vous n’avez jamais vu son visage sans qu’il ne soit recouvert de tous ces poils. Je n’ai jamais vu de ma vie une barbe pareille ! Le reconnaîtriez-vous sans barbe ?
— Bien sûr.
Emerson me passa le bras autour des épaules et m’attira à lui.
— Certes, Peabody, j’avoue que rien ne me ferait plus grand plaisir que de coller à cette ordure un coup de poing dans la figure, et s’il se mêle de nos affaires, je m’occuperai de lui comme il le mérite. Mais je n’ai pas l’intention d’aller au-devant des ennuis. J’ai mieux à faire. Promettez-moi, Peabody, que vous vous garderez de toute initiative.
— Oh, naturellement, mon cher Emerson.
— Promettez-le.
— Je vous promets que je n’irai pas au-devant des ennuis.
— Ma chère Peabody !
Emerson m’enlaça tendrement, sans se soucier des marins qui nous regardaient.
J’avais bien l’intention de tenir ma promesse. Pourquoi aller au-devant des ennuis quand les ennuis ne peuvent manquer de venir à votre rencontre ?
Après avoir débarqué à Alexandrie, nous prîmes le train pour Le Caire. Le voyage dure un peu plus de quatre heures, et la plupart des voyageurs le trouvent d’ordinaire quelque peu fastidieux, vu que l’on traverse les plaines alluviales monotones du Delta. Aux yeux exercés de l’archéologue, toutefois, chaque monticule indique la présence d’une cité enfouie. Ramsès et Emerson ne cessaient de discuter de l’identification de ces sites. Je m’abstins de prendre part à la discussion, car je ne vois pas l’intérêt de débattre de questions sur lesquelles si peu de faits sont connus. Comme je le leur dis, seules les fouilles établissent la vérité.
Ce fut seulement à quelques kilomètres de notre destination qu’apparut la vision impressionnante des pyramides de Gizeh dans le lointain, encadrées par les collines basses de Libye. C’était toujours à ce moment-là, et non sur le quai noir de monde d’Alexandrie, que j’avais vraiment l’impression d’être arrivée en Égypte.
Emerson m’adressa un sourire de communion muette avant de tourner de nouveau son regard vers le merveilleux spectacle. Il avait consenti avec force jurons à endosser son nouveau costume gris, et il était vraiment magnifique – bien que, je dois l’avouer, le splendide physique d’Emerson soit à son avantage quand il est vêtu de sa tenue de travail : pantalon miteux, chemise froissée au col ouvert, manches retroussées dénudant ses avant-bras musclés. Il ne portait pas de chapeau parce qu’Emerson refuse invariablement de porter un chapeau même lorsqu’il travaille sous un soleil de plomb, et vaincre ce préjugé chez lui dépasse mes capacités de persuasion (qui ne sont pourtant pas négligeables).
Son élégance était quelque peu éclipsée par le majestueux félin moucheté qui était juché sur son genou. Bastet regardait par la fenêtre du train avec autant d’intérêt qu’Emerson, et je me demandai si elle comprenait qu’elle avait retrouvé son pays natal. Ramsès aurait prétendu que oui, car il surestime l’intelligence de la créature. C’est la compagne de tous ses instants depuis qu’elle est entrée dans notre famille voilà plusieurs années. C’est maintenant une voyageuse expérimentée, étant donné que Ramsès tient à l’emmener partout où il va. Je dois dire qu’elle est beaucoup plus facile que son jeune maître.
Ramsès – ah, Ramsès ! Ma plume éloquente faiblit quand je tente d’évoquer en quelques mots la personnalité complexe de mon fils de huit ans, mon enfant unique. Certains Égyptiens superstitieux ont carrément prétendu que ce n’était nullement un enfant, mais un djinn qui avait élu domicile dans le frêle corps de Ramsès. Il y a de bons djinns et de mauvais djinns (ces derniers s’appellent couramment des éfrits), car cette catégorie d’êtres mythologiques, espèce intermédiaire entre les hommes et les anges, est moralement neutre à l’origine. Je n’avais pas cherché à savoir à laquelle des deux sous-catégories Ramsès avait la réputation d’appartenir.
Ramsès était sale et débraillé, bien entendu. Ramsès est toujours sale et débraillé. Il est attiré par la saleté comme un crocodile par l’eau. Lorsqu’il était monté dans le train, il était relativement propre. Environ une heure après notre départ d’Alexandrie, je regardai autour de moi et ne le vis pas dans notre compartiment. Cela ne me surprit pas, car Ramsès a le don surnaturel de disparaître quand l’envie l’en prend. C’est un talent particulièrement déconcertant chez un garçon qui traverse d’ordinaire une pièce de manière fort maladroite, en grande partie à cause de sa propension à entreprendre des tâches au-dessus de ses capacités.
À la demande pressante d’Emerson, je partis à la recherche du garçonnet et le trouvai dans une voiture de troisième classe, accroupi par terre. Il parlait avec animation à une femme dont la tenue légère et impudique ne laissa aucun doute dans mon esprit quant à sa profession. Je ramenai Ramsès à notre compartiment, et le fis asseoir près de la fenêtre pour qu’il ne m’échappe pas une nouvelle fois.
Lui aussi se tourna pour admirer les pyramides. Je ne voyais que son col dégoûtant et l’amas de boucles noires compactes qui orne sa tête. Mais je savais que son expression sombre ne trahissait presque aucune émotion. Ramsès arbore généralement un visage impassible. Il a un nez assez proéminent, et le menton à l’avenant. Son teint n’a rien de britannique et l’on pourrait aisément le prendre pour un jeune Égyptien. C’est à cause de cette ressemblance et de ses manières altières qu’Emerson eut l’idée de lui donner le surnom de Ramsès. (Car le lecteur sait – sans que j’aie besoin de le lui expliquer, je l’espère –, que je n’aurais jamais accepté de faire baptiser un nouveau-né britannique d’un nom aussi saugrenu.)
Comme les têtes de Ramsès et d’Emerson, ainsi que le chat, me bouchaient la vue, je me laissai aller en arrière et me détendis, sans quitter des yeux la nuque de mon fils.
À mon habitude, j’avais réservé des chambres au Shepheard’s. Emerson se plaignit amèrement de descendre là. Vu qu’il se plaint chaque année, je n’y prêtai aucune attention. Plusieurs des hôtels plus récents sont tout aussi confortables, mais outre qu’il offre tous les agréments qu’est en droit d’attendre une personne raffinée, le Shepheard’s a l’avantage d’être le rendez-vous de la haute société du Caire. Les raisons que j’ai de préférer cet hôtel sont les raisons mêmes pour les quelles Emerson s’en plaint. Il préférerait de loin loger dans le quartier indigène, où il pourrait jouir du sympathique manque d’hygiène qui caractérise les hôtels et les pensions de catégorie inférieure. (Par instinct, les hommes sont des animaux malpropres. Emerson est l’un des rares qui aient le courage d’exprimer ses sentiments à haute voix.) Certes, je peux « vivre à la dure » avec le meilleur d’entre eux, mais je ne vois aucune raison de refuser le bien-être quand on peut en disposer. Je tenais à me reposer quelques jours de l’inconfort de la traversée au milieu de la foule des passagers avant de me rendre dans le désert.
Attitude des plus raisonnables – tout le monde en conviendra, je n’en doute pas. Quand Emerson prétend que je descends au Shepheard’s pour apprendre les derniers potins, ce n’est de sa part qu’une petite plaisanterie.
J’ai entendu dire qu’il était difficile de trouver de la place au Shepheard’s lorsque la saison battait son plein, mais je n’ai jamais eu le moindre mal. Bien sûr nous sommes de vieux clients appréciés. La rumeur selon laquelle M. Baehler, le directeur, serait terrorisé par Emerson et craindrait de lui refuser quoi que ce soit est, bien entendu, ridicule. M. Baehler est un monsieur robuste, de haute stature, et je suis certaine qu’il ne se laisserait jamais intimider de cette manière-là.
Il attendait sur la terrasse, prêt à nous recevoir – et, naturellement, à accueillir les autres clients qui étaient arrivés par le train d’Alexandrie. Sa splendide tête aux cheveux argentés dépassait au milieu de la foule. Comme nous nous apprêtions à mettre pied à terre, une autre voiture s’arrêta derrière nous. Celle-ci n’aurait pu manquer d’attirer notre attention, ne serait-ce qu’en raison de l’effet qu’elle produisit sur les clients assis aux tables de la terrasse. Tout le monde se raidit en quelque sorte, et toutes les têtes se tournèrent vers les nouveaux venus. Tous retinrent leur souffle un instant, puis se remirent à converser, chuchotant et sifflant entre leurs dents.
La voiture découverte était tirée par deux chevaux gris, parfaitement assortis. Des plumets écarlates ornaient leur harnais. Ils agitaient leurs belles têtes et caracolaient tels des coursiers aristocratiques, ce qu’ils étaient manifestement.
Le cocher sauta à bas de son siège et tendit les rênes au palefrenier qui avait été juché derrière. Le premier était grand et maigre, aussi souple qu’une panthère vêtue d’une tenue de cheval et chaussée de bottes cirées. Ses cheveux noirs donnaient l’impression d’avoir été passés au cirage eux aussi ; quant à sa fine moustache noire, elle aurait pu être dessinée à l’encre de Chine. Le monocle qu’il portait à l’œil droit, étincelant au soleil, jeta un éclair aveuglant.
— Saperlipopette, c’est ce scélérat de Kalenischeff ! s’exclama Emerson.
Emerson n’a pas la réputation de s’exprimer d’une voix douce. Toutes les têtes se tournèrent vers nous, dont celle de Kalenischeff. Son sourire cynique se crispa, mais il se reprit presque aussitôt et se détourna pour aider sa passagère à mettre pied à terre.
Des bijoux brillaient à son cou et à ses poignets menus. Sa robe de soie gris-vert était à la dernière mode de Paris, dotée de manches bouffantes dont la circonférence était supérieure à celle de sa fine taille. Un énorme foulard de gaze blanche était agrafé à la robe à l’aide d’une broche de diamants et d’émeraudes. Son ombrelle s’harmonisait avec sa robe. J’entrevis dessous un charmant minois rieur, dont les joues et les lèvres étaient plus éclatantes que ne l’avait voulu la Nature.
Le couple fringant gravit majestueusement l’escalier et pénétra dans l’hôtel.
— Ma foi ! fis-je. Je me demande qui…
— Peu importe, dit Emerson en me prenant fermement par le bras.
Nous avions nos chambres habituelles au troisième étage. Elles donnaient sur le Jardin de l’Ezbekeya. Après avoir défait nos valises et nous être changés, nous descendîmes prendre le thé sur la terrasse. Emerson ronchonna moins qu’à l’accoutumée à la perspective de sacrifier à ce qu’il appelle « un rituel social absurde », car nous avions tous soif après le long voyage en train dans la poussière.
Le thé sur la terrasse du Shepheard’s est assurément une activité appréciée des touristes, mais même de vieux habitués tels que nous ne se lassent jamais du spectacle animé de la vie égyptienne dans la rue Ibrahim Pacha. Les environs de l’hôtel voient pulluler des hordes de mendiants, de marchands, d’âniers et de cochers, rivalisant tous pour proposer leurs services aux clients de l’hôtel. Une fois que nous nous fumes assis et eûmes commandé, je sortis une liste de ma poche et la lus à Ramsès. C’était la liste des choses qu’il lui était interdit de faire. D’après ce que je me rappelle, elle commençait par « Ne parle pas aux âniers » et elle se terminait par « Ne répète aucun des mots que tu as appris auprès des âniers l’année dernière ». Ramsès parle arabe couramment et connaît malheureusement des mots très familiers.
Nous vîmes un certain nombre de connaissances entrer dans l’hôtel et en sortir, mais personne ne vint nous parler, et il n’y avait personne avec qui nous souhaitions parler. Pas un seul égyptologue dans le lot, comme le formula Emerson. J’étais sur le point de proposer que nous regagnions nos chambres quand un autre juron, échappant à mon mari si direct, me fit comprendre qu’approchait quelqu’un qui avait encouru sa désapprobation. Me tournant, j’avisai Kalenischeff.
Il arborait son sourire figé, tel un masque.
— Bonjour, Madame… Professeur… maître Ramsès. Bienvenue pour votre retour au Caire. Puis-je…
— Non, lança Emerson, arrachant des mains de Kalenischeff la chaise qu’il avait saisie. Comment osez-vous adresser la parole à madame Emerson ? Votre seule présence est une insulte à l’adresse de toute femme respectable.
— Voyons, Emerson. (Je levai mon ombrelle pour indiquer une autre chaise. Kalenischeff tressaillit. Il se rappelait sans doute certain jour où j’avais été forcée de piquer son anatomie de la pointe de cette ombrelle afin de protéger mes membres inférieurs d’un assaut grossier. Je poursuivis :) Écoutons ce qu’il veut nous dire.
— Je ne vous retiendrai pas bien longtemps. (Kalenischeff décida finalement de ne pas s’asseoir. Il baissa la voix.) J’aimerais conclure un accord avec vous. Un marché…
— Quoi ? s’écria Emerson. Un marché ? Je ne conclus pas d’accord avec des assassins, des voleurs…
— Chut, Emerson, l’implorai-je. (Les occupants des tables voisines ne faisaient même plus mine de se montrer bien élevés et tendaient l’oreille ostensiblement.) Écoutez-le jusqu’au bout.
Kalenischeff affichait toujours son sourire imperturbable, mais des gouttes de transpiration perlèrent sur son front.
— Je connais l’opinion que vous avez de moi, siffla-t-il. Pas de marché, alors, seulement une promesse de ma part. Je suis sur le point de quitter Le Caire – de quitter l’Égypte, en réalité. Donnez-moi seulement quelques jours pour boucler mes affaires, laissez-moi tranquille, et je jure que vous ne me verrez plus jamais ni n’entendrez plus jamais parler de moi.
— Où allez-vous ? m’enquis-je par curiosité.
— Cela ne vous regarde pas, madame Emerson.
— Il vous faudra fuir au bout de la terre pour échapper au long bras de votre ancien maître, observai-je d’un air lourd de sous-entendus.
Le visage maigre de l’homme pâlit très nettement.
— Pourquoi parlez-vous de… Qu’est-ce qui vous fait penser…
— Allons, allons, Kalenischeff. Ce n’est que trop évident. Quelque chose, ou quelqu’un, vous a fait suffisamment peur pour vous pousser à prendre la fuite. De qui d’autre pourrait-il s’agir sinon de ce génie du crime, de ce diabolique Maître criminel ? Nous n’avons pas pu prouver que vous faisiez partie de sa bande ; mais nous savions que c’était le cas. Si vous avez l’intention de trahir cet individu, qui voit tout et qui sait tout, vous feriez mieux de vous jeter dans les bras de la police – ou mieux, dans nos bras. Je parle au figuré, bien entendu.
— Vous vous trompez, marmotta Kalenischeff. Vous vous trompez lourdement. Jamais je ne… Je n’ai jamais eu partie liée avec…
Emerson fronça les sourcils et, grondant sourdement, ce qui était plus menaçant que des cris – Kalenischeff le savait bien –, il dit :
— C’est vous qui vous trompez, espèce de crapule. Vos protestations d’innocence ne me convainquent pas le moins du monde. La prochaine fois que vous lui parlerez, dites à votre maître de m’éviter. Cela s’applique également à vous. Je ne veux aucun rapport avec l’un ou l’autre d’entre vous, mais si vous vous mêlez de mes affaires, je vous écraserai comme un cafard. Me suis-je bien fait comprendre ?
Ce n’était pas du tout ainsi que je comptais m’y prendre.
— Pensez à ce que vous faites, Kalenischeff, intervins-je vivement. Confiez-vous à nous et laissez-nous vous sauver. Vous prenez un risque terrible rien qu’en nous parlant. Les espions de votre maître redouté sont partout. Si l’un d’eux vous voyait…
Ma méthode n’eut pas plus de succès que celle d’Emerson. Kalenischeff en pâlit d’horreur.
— Vous avez raison, marmonna-t-il.
Et, sans prévenir, sans ajouter un mot, il se dirigea d’un pas chancelant vers la porte de l’hôtel.
— Ha ! fit Emerson d’une voix satisfaite. Bravo, Peabody ! Nous voilà débarrassés de cet individu.
— Ce n’était pas mon intention. Emerson, nous ne pouvons laisser s’échapper cette canaille. Nous ne pouvons lui permettre de tromper cette jeune femme qui est manifestement sa dernière victime !
Emerson me saisit le bras comme je m’apprêtais à me lever et il me rassit sur ma chaise avec une telle force que j’en eus le souffle coupé. Tandis que je me dégageais, la voiture aux deux chevaux gris assortis s’arrêta devant le perron et la jeune demoiselle apparut sur la terrasse. Kalenischeff se hâta de la faire monter dans la voiture. Les badauds eurent le plaisir d’entrevoir une bottine délicate à boutons et un éclair de jupons en dentelle lorsque la demoiselle monta sur le marchepied. Kalenischeff sauta à la place du cocher, arracha le fouet des mains du palefrenier, et le fit claquer. Les chevaux partirent au grand galop, comme d’un starting-gate. Les piétons et les colporteurs s’écartèrent. Un vieux marchand de fruits fut un peu lent. Il sauva sa vieille carcasse en évitant la voiture d’un pas chancelant, mais ses oranges et ses melons roulèrent partout.
Je secouai la tête en voyant Ramsès s’apprêter à se lever.
— Mais, Maman, j’espérais pouvoir aider ce vieux monsieur. Comme vous le voyez, ses oranges…
— Je ne mets pas en doute la pureté de tes intentions, Ramsès. Elles sont à ton honneur, mais cela finit régulièrement par une catastrophe, non seulement pour toi mais pour l’objet de ta sollicitude.
— Mais, Maman, c’bonhomme là-bas…
Son geste désignait l’un des badauds déguenillés, qui était venu en aide au marchand – homme robuste et de grande taille, vêtu d’une djellaba en haillons et coiffé d’un turban safran. Il avait ramassé trois oranges et les avait lancées en l’air avec l’adresse d’un bon jongleur. À l’instant où je l’aperçus, il se détourna. Deux oranges tombèrent juste aux pieds du marchand qui se lamentait, et l’autre disparut, probablement dans les plis de la djellaba dégoûtante du jongleur.
— Tu te relâches de nouveau, dis-je sévèrement à Ramsès. Combien de fois t’ai-je dit que je ne tolérais pas ta mauvaise prononciation ?
— De nombreuses fois, Maman. Je suis désolé de ne pas vous donner satisfaction dans ce domaine, mais, comme vous l’avez peut-être remarqué, j’ai tendance à m’oublier lorsque je suis sous l’effet d’une forte émotion ou quand je suis pris par surprise, comme dans…
— Très bien, très bien. Fais-y plus attention à l’avenir.
Le marchand avait mis fin à ses lamentations en reconnaissant Emerson, penché par-dessus la balustrade.
— C’est Emerson Effendi, s’écria-t-il. Ô, Maître des Imprécations, regardez ce qu’ils ont fait à un pauvre vieillard ! Ils m’ont ruiné. Mes femmes vont mourir de faim, mes enfants vont se retrouver à la rue, ma vieille mère…
— Sans parler de ta très, très vieille grand-mère, enchérit Emerson en un arabe des plus familiers. (L’adjectif qu’il utilisa comportait un sous-entendu qui fit éclater de rire tous ceux qui écoutaient.)
Emerson sourit. Il aime beaucoup que l’on apprécie ses traits d’esprit. Jetant une poignée de pièces sur le plateau du marchand, il poursuivit :
— Achète une nouvelle gibbeh (robe) à ton arrière-grand-mère, pour que son commerce soit florissant.
Des rires gras ponctuèrent derechef cette remarque déplacée. Emerson alla se rasseoir. Croisant mon regard et se composant à la hâte un visage sérieux, il s’exclama :
— Je vous avais bien dit que nous n’aurions pas dû venir ici, Amelia. Comment un hôtel respectable peut-il laisser entrer un criminel tel que Kalenischeff ? J’ai bien envie de partir tout de suite. Baehler ! Herr Baehler !
On dit qu’un bon hôtelier a un sixième sens qui l’avertit des ennuis imminents. Les mauvaises langues disent aussi que Baehler craint les ennuis de la part d’Emerson et qu’il est tout le temps sur le qui-vive. Quoi qu’il en soit, le directeur apparut comme par enchantement et se dirigea vers notre table.
— Vous m’avez appelé, Professeur ? murmura-t-il.
— Pourquoi chuchotez-vous ? s’enquit Emerson avec curiosité.
— Herr Baehler essaie, par son exemple, de vous persuader de baisser le ton, expliquai-je.
Baehler me gratifia d’un regard de reconnaissance, Emerson d’un coup d’œil furieux.
— Qu’est-ce que vous sous-entendez, Peabody ? Je n’élève jamais la voix. J’aimerais savoir, Herr Baehler, comment vous pouvez tolérer dans votre hôtel pareille canaille. C’est une honte.
— Vous voulez parler du prince Kalenischeff ?
— Prince ? Ha ! explosa Emerson. Il n’a aucun droit à ce titre, ni à celui d’archéologue. C’est un voleur et un gredin, il appartient à cette bande de pilleurs d’antiquités que Mme Emerson et moi-même avons démasqués l’année dernière…
— Je vous en prie, Professeur, coupa Baehler en se tordant les mains. On vous regarde, on vous entend…
— Eh bien, je veux qu’on m’entende, déclara Emerson. C’est la fonction de la parole, Baehler : être entendu.
— Il n’empêche, intervins-je, Herr Baehler a raison. Vous et moi savons que cet individu est coupable, mais nous n’avons pas pu découvrir de preuves formelles. Nous ne pouvons attendre de Herr Baehler qu’il l’expulse sur nos présomptions. Ce que j’aimerais savoir, c’est l’identité de la pauvre jeune femme qui l’accompagnait. Elle avait l’air d’être très jeune. Sa mère est vraiment insensée de la laisser paraître en public en compagnie d’un tel homme !
Baehler hésita. À son front serein et à son demi-sourire avenant, on aurait pu croire qu’il était indifférent. Mais je savais qu’il mourait d’envie de se confier à une personne compatissante et compréhensive.
— La demoiselle est orpheline, commença-t-il prudemment. Vous avez peut-être entendu parler d’elle. C’est l’une de vos compatriotes – une certaine Miss Debenham, l’honorable Miss Debenham, pour être précis. Son père était le baron Picadilly, et c’est sa seule héritière.
— Une héritière, répétai-je d’un ton lourd de sous-entendus.
Emerson poussa un grognement.
— Cela explique pourquoi Kalenischeff est intéressé. Non, Baehler, nous ne connaissons pas cette jeune personne. Quant à nous, nous ne nous intéressons pas aux aristocrates sans cervelle. Je ne veux plus entendre parler de cette Miss Devonshire, si c’est là son nom. Mme Emerson ne veut plus entendre parler d’elle non plus. Mme Emerson n’a pas de temps à consacrer à ces gens-là.
— Chut, Emerson. M. Baehler sait que je ne me mêle jamais des affaires des autres. Mais dans ce cas précis je m’y sens tenue, sachant ce que je sais de la vraie personnalité de Kalenischeff. Cette jeune femme devrait être mise en garde. Si je peux être d’une aide quelconque…
Baehler n’attendait que l’occasion de s’exprimer.
— J’avoue, madame Emerson, que la situation est… euh… délicate. Miss Debenham est arrivée au Caire sans personne pour l’accompagner, pas même de domestique. Elle s’est presque aussitôt mise à fréquenter le prince, et leur comportement est devenu un scandale éhonté. J’ai beau hésiter à offenser un membre de l’aristocratie britannique, je serai peut-être contraint de prier Miss Debenham de quitter l’hôtel.
Je baissai la voix moi aussi :
— Voulez-vous dire qu’ils… qu’ils sont…
Baehler se pencha en avant.
— Je vous demande pardon, madame Emerson, je n’entends pas ce que vous dites.
— Cela vaut peut-être mieux ainsi.
Je jetai un coup d’œil à Ramsès qui me renvoya un regard aussi inexpressif que celui d’une chouette, preuve qu’il écoutait la conversation avec un intense intérêt. J’avais abandonné depuis longtemps l’espoir de croire que Ramsès ignorait des choses auxquelles ne devrait pas s’intéresser un garçonnet de huit ans, mais je m’efforçai du moins de sauver les apparences de la bienséance.
— Emerson, fis-je, emmenez Ramsès là-haut et lavez-le.
— Il n’a pas besoin de se laver, objecta Emerson.
— Il a toujours besoin de se laver. Vous savez que nous dînons à la Mena House ce soir, pour admirer la pleine lune au-dessus des pyramides. J’aimerais partir de bonne heure.
— Oh, très bien. (Emerson se leva.) N’allez pas imaginer que j’ignore ce que vous projetez, Peabody. Prenez garde à vous.
Après leur départ, je me tournai de nouveau vers Baehler.
— Parlez sincèrement, mon ami. Kalenischeff partage-t-il la chambre de Miss Debenham ? Vous ne pouvez pas me choquer.
Mais moi, j’avais choqué Baehler.
— Madame Emerson, comment pouvez-vous supposer que je laisserais faire une chose pareille dans mon hôtel ? Le prince a sa propre chambre, à quelque distance de celle de Miss Debenham.
Je me permis un petit sourire ironique, que Baehler feignit de ne pas voir.
— Quoi qu’il en soit, je ne peux regarder avec indifférence une créature de Dieu courir à sa perte, d’autant plus que cette créature appartient à mon sexe opprimé. Nous autres femmes sommes constamment abusées par les hommes – je ne parle pas de mon mari bien entendu –, et nous avons l’obligation morale de nous entraider. Je vais parler à Miss Debenham.
M. Baehler parut avoir changé d’avis. Les hommes sont coutumiers du fait : ils sont toujours en train de demander quelque chose, et puis ils décident qu’après tout ils n’en veulent plus.
— Je ne suis pas sûr… commença-t-il.
— Mais moi, j’en suis sûre. (Je souris et le piquai de mon ombrelle.) N’ayez crainte, Herr Baehler. J’aborderai le sujet avec la plus grande délicatesse. Je ferai simplement remarquer que Kalenischeff est un mufle, un voleur, et peut-être un assassin. J’imagine que cela convaincra Miss Debenham.
Les lèvres de Baehler tremblèrent.
— Vous êtes décidée ? Rien de ce que je pourrais dire ne saurait vous dissuader ?
— Rien, l’assurai-je.
Baehler s’éloigna en secouant la tête, et je finis mon thé, ce qui ne me prit guère de temps, car Ramsès avait mangé tous les sandwiches.
Lorsque je revins à nos chambres, prête à aider Emerson à s’habiller, opération qui dure parfois bien longtemps sans raison à cause de son extrême réticence à endosser un habit de soirée, je découvris à mon grand dépit que lui et Ramsès étaient partis. Ainsi que la chatte. Je n’arrivais pas à comprendre comment ils avaient pu m’échapper. Ils avaient dû s’esquiver discrètement par l’entrée de derrière.
Ils restèrent absents plus d’une heure. La veste et le col d’Emerson étaient déboutonnés et Bastet, la chatte, juchée sur son épaule, grignotait d’un air indifférent les extrémités de son foulard dénoué. Les boucles emmêlées de Ramsès étaient grises de poussière et ses bottes laissaient par terre des marques vertes.
— Vous êtes allés au souk des teinturiers et des corroyeurs, m’écriai-je. Mais pourquoi donc, au nom du Ciel ?
— Ramsès avait envie d’un fez, expliqua Emerson tout en se baissant pour que la chatte puisse sauter sur le lit.
— Où est-il ?
Ramsès regarda autour de lui comme s’il s’était attendu à ce que le couvre-chef en question se fût déplacé de lui-même et fût arrivé avant lui.
— Apparemment il s’est égaré, finit-il par déclarer.
Cherchant mes mots, je lâchai :
— Lavez-vous.
— Oui, Maman.
Suivi de la chatte, Ramsès alla dans sa chambre, qui était contiguë à la nôtre. S’ensuivirent des bruits d’éclaboussures, accompagnés du fredonnement sans queue ni tête dont Ramsès égaye ses ablutions. Profitant du bruit, je m’adressai à mon mari :
— Eh bien, Emerson ?
— Eh bien, Peabody, il faut nous dépêcher. Je n’avais pas l’intention de rester si longtemps au souk, mais vous savez comment se passent ces négociations, à deviser, à boire du café, à échanger des compliments…
Il ôta sa veste et sa chemise en parlant, puis les jeta vaguement en direction du lit. Je ramassai chaque article tombé par terre et l’accrochai à une patère.
— Je sais. J’avais l’intention de passer la journée de demain à faire cela précisément.
— À présent, c’est inutile. (Emerson se tourna vers le lavabo.) Je me suis occupé de tout. Nous pouvons partir pour Dahchoûr en début de matinée.
— Demain matin ?
Emerson s’ébroua et crachota comme un grand chien.
— Ah, comme c’est rafraîchissant. Ce sera merveilleux de se retrouver dans le désert, n’est-ce pas, Peabody ? Le sable et les étoiles, la paix et la tranquillité, la solitude, rien pour nous déranger, saperlotte…
J’étais extrêmement fâchée contre lui, mais l’amusement tempéra mon agacement. Emerson est aussi transparent qu’un enfant. Et puis, j’étais troublée par l’ondulation de ses muscles dorsaux. Je ramassai la serviette et l’aidai à se sécher.
— Je vois très bien ce que vous manigancez, Emerson. Vous voulez m’éloigner du Caire. Bien entendu, je partage votre enthousiasme pour le sable et les étoiles, la solitude, etc. Mais je dois m’occuper de beaucoup de choses avant de…
— Absolument pas, Peabody. Abdullah et nos hommes sont restés à Dahchoûr tout l’été. Nous avions décidé qu’il était préférable de ne pas laisser le site sans surveillance, si vous vous rappelez. Je suis sûr qu’à présent ils ont trouvé une maison comme il faut, qu’ils nous l’ont préparée, et qu’ils y ont transporté les affaires que nous avons laissées à Dronkeh au printemps dernier.
— Abdullah n’a pas la même conception que moi des maisons comme il faut. J’aurai besoin…
— Vous pourrez vous procurer tout ce que vous aurez besoin une fois que vous serez sûre de ce que vous avez besoin.
Il avait un peu de mal à articuler et sa phrase ne brillait pas par la qualité de la syntaxe, d’ordinaire fort correcte chez lui. Je vis qu’il m’observait dans la glace avec une expression que je connaissais bien.
— Faut-il que je me rase, Peabody ?
— Bien entendu, Emerson. Votre barbe est épaisse et…
Il se retourna et me prit dans ses bras, me serrant contre lui en même temps que la serviette. Sa joue frôla la mienne.
— Faut-il que je me rase ? répéta-t-il d’une voix rauque.
— Emerson, commençai-je, mais je ne pus poursuivre pour des raisons qui apparaîtront évidentes à n’importe quel lecteur sensible.
Vu que toute intelligence normalement constituée s’embrouille quelque peu dans les circonstances qui prévalurent alors, j’ignore combien il s’écoula de temps avant de sentir à la nuque un désagréable picotement. Je me dégageai des bras d’Emerson, me retournai et aperçus Ramsès debout sur le seuil de la porte. La chatte était dans ses bras et tous deux nous regardaient fixement sans vergogne.
— Ramsès, m’exclamai-je quelque peu essoufflée. Tu souris ?
— Mon expression était une expression de sympathie et d’approbation, protesta Ramsès. Cela me plaît de vous voir, vous et Papa, vous livrer à des démonstrations de cette nature. Je n’arrive pas encore à expliquer pourquoi il en est ainsi, mais je me demande si cela ne révèle pas un besoin profondément ancré de…
— Ramsès ! (Emerson avait retrouvé son souffle.) Retourne dans ta chambre sur-le-champ. Et ferme la porte.
Ramsès disparut aussitôt, sans même dire « Oui, Papa ». Mais l’humeur n’y était plus. Toussant avec embarras, Emerson tendit la main vers son bol à raser.
— Il faut que nous trouvions à Ramsès un garde du corps, déclara-t-il. Ou plutôt, disons, un compagnon, un accompagnateur…
— Le premier terme était bien choisi, observai-je en tentant de démêler mes cheveux ébouriffés. (La chose était vaine, car les mèches adhéraient à mes doigts sous l’effet de l’électricité statique, due sans doute à la chaleur sèche. Je m’assis devant la coiffeuse afin de me coiffer en vue de la soirée.)
— Je tenais à emmener un domestique avec nous, repris-je. Mais vous vous y êtes opposé.
— Nous ne pouvions guère demander à ce pauvre John d’abandonner sa nouvelle épouse, se défendit Emerson en battant prestement le savon pour le transformer en mousse. Lorsque nous arriverons à Dahchoûr, Selim pourra assumer les fonctions qu’il avait la saison dernière.
— Selim s’est révélé parfaitement inefficace, Emerson. Je n’ai rien dit, car je n’aurais voulu vexer ce pauvre garçon pour rien au monde, mais il a été incapable d’empêcher Ramsès de faire ce qu’il voulait. À vrai dire, il est devenu le complice des méfaits de Ramsès au lieu d’être son garde.
« Ce qu’il lui faut en réalité, poursuivis-je, c’est un précepteur. Ses études ont été pour le moins incomplètes. Il sait traduire les hiéroglyphes égyptiens aussi facilement que la plupart des enfants de son âge savent lire l’anglais, mais il n’a que de très vagues notions de sciences, et absolument aucune sur l’histoire de sa grande nation.
— Il connaît bien la zoologie, Peabody. Il passe son temps à recueillir des animaux perdus.
— La physique, l’astronomie…
Emerson renâcla si fort que de la mousse fut projetée sur la glace. Il l’essuya à l’aide de son bras.
— Quelle importance de savoir si la terre tourne autour du soleil ou vice versa ? C’est une information sans conséquence.
— Il me semble, Emerson, que ce sentiment a été exprimé par quelqu’un d’autre.
— Sans doute. C’est l’opinion de toute personne qui raisonne. Peu importent les études de Ramsès, Peabody. Il saura toujours se débrouiller.
Il retomba dans le mutisme lorsqu’il passa la lame étincelante sur sa joue. J’avais beau ne pas être convaincue, je m’abstins de tout autre commentaire, de peur de provoquer un accident grave. Une fois qu’il eut achevé la délicate opération, je crus pouvoir aborder sans danger une autre doléance.
— Nous partons donc dans la matinée ?
— Si cela vous convient, ma chérie.
— Cela ne me convient pas du tout. Il y a plusieurs choses que je voulais terminer…
Emerson fit volte-face, brandissant son rasoir.
— Comme de vous mêler des affaires de cette Miss Devonshire ?
— Debenham, Emerson. La demoiselle s’appelle Debenham. Je comptais lui glisser quelques mots aimables, lui donner les conseils que sa mère lui donnerait si elle était toujours vivante. Il faudra simplement que j’en trouve l’occasion ce soir, voilà tout.
— Malédiction, fit Emerson.
— Dépêchez-vous, Emerson. Mena House va être bondée. Les pyramides au clair de lune attirent beaucoup de monde. Non, enchaînai-je en enroulant mes tresses en un joli chignon. Je voulais parler de courses. Je suis sûre que vous n’avez acheté aucun des articles dont j’ai besoin.
— Si, parfaitement. J’ai même acheté tout un tas de ces satanés remèdes que vous infligez continuellement à tout le monde. De l’ipecacuana, de la rhubarbe, du calomel, des emplâtres pour les ampoules…
— Vous n’avez pas trouvé de calices, je suppose ?
— De calices… Peabody. Je n’ai rien dit quand vous vous êtes mis en tête de jouer au médecin, mais je me verrai obligé de protester si vous commencez à administrer les sacrements. Non seulement cela heurte mes principes car je considère cette pratique comme la plus grossière des superstitions – mais la chose ne peut que vous attirer des ennuis de la part des autorités de l’Église d’Angleterre.
— Je suppose que vous plaisantez, Emerson. Vous savez très bien pourquoi je veux ces calices. C’est pour remplacer ceux que le Maître criminel a volés à l’église de Dronkeh l’année dernière. L’affliction du pauvre cheik El Beled m’a émue. Comme nous ne pouvons lui restituer les originaux, je souhaite lui en apporter d’autres. Je présume que vous n’en avez même pas cherché.
— Les antiquités religieuses coptes ne sont pas faciles à trouver, même dans les bazars du Caire, rétorqua Emerson. De toute façon, cela serait une perte de temps ridicule. Pourquoi n’avez-vous pas simplement acheté un nécessaire de toilette dans un bazar à quatre sous ?
Je ne relevai pas cette remarque grossière, étant habituée aux opinions religieuses peu orthodoxes d’Emerson. Toutefois, quand il tendit la main vers son pantalon, je me sentis tenue d’émettre une objection.
— Pas ce pantalon, Emerson. Je vous ai préparé votre tenue de soirée. Un costume de tweed est…
— La seule tenue idoine pour escalader la Grande Pyramide, Peabody. Vous ne voulez quand même pas que j’abîme mon unique tenue de soirée, n’est-ce pas ?
— Escalader la pyramide ? Dans le noir ?
— C’est la pleine lune, comme vous savez. Il y aura suffisamment de lumière, je vous assure, et la vue du sommet de la Pyramide de Khéops est une expérience à ne pas manquer. Je voulais vous faire plaisir, ma chérie, mais si vous préférez vous habiller en grand tralala comme cette jeune femme aujourd’hui… Ma parole, elle ressemblait à s’y méprendre à un pigeon grosse-gorge, et je m’attendais à la voir s’envoler.
Ayant reconnu la pertinence de son argument, je me mis à préparer l’un de mes costumes de travail, ensemble distingué constitué d’un pantalon de tweed pourpre et d’une veste à carreaux blancs et bleu lavande, accompagné d’une ombrelle assortie. Je sors rarement sans ombrelle. C’est l’un des objets les plus utiles que l’on puisse posséder, en toutes sortes d’occasions, et je savais que je serais heureuse de m’en servir comme d’une canne ce soir, car le terrain autour des pyramides est très inégal. Cependant, je me sentis obligée de contester le jugement que venait de porter Emerson sur la robe de Miss Debenham.
— Comme tous les hommes, Emerson, vous n’avez aucun sens de l’élégance. J’admets que la robe était un peu excentrique, mais elle était charmante. Il faut que je demande à Miss Debenham…
Emerson me coupa la parole en plaquant ses lèvres fermement sur les miennes. Puis il les écarta pour murmurer :
— Vous n’avez nul besoin d’atours aussi artificiels, Peabody. Vous ne m’avez jamais paru plus charmante qu’avec votre pantalon et votre chemisier de travail, un coup de soleil sur le nez et les cheveux s’échappant de votre filet. Non, permettez-moi de reformuler cela. Vous êtes encore plus charmante quand vous ne portez pas…
Je plaçai la main sur sa bouche pour l’empêcher d’achever sa phrase, car je sentais de nouveau le picotement précédant l’arrivée de Ramsès. Et de fait, j’entendis la voix familière :
— Puis-je entrer, Papa ?
— Oui, entre, répondis-je en m’écartant d’Emerson.
— Je voulais vous demander, Maman, quelle tenue je devais mettre, reprit Ramsès.
— Je voulais que tu portes ton costume de velours noir.
Le visage de Ramsès, qui ne trahissait presque jamais la moindre expression, s’assombrit très nettement. Porter le costume de velours noir est l’une des rares choses qui le poussent à la rébellion ouverte. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi mon fils est si intransigeant sur ce point. Avec son joli col de dentelle et sa chemise à jabot, c’est un costume qui convient parfaitement à un garçon de son âge. (Toutefois, je dois l’avouer, il siérait encore mieux à son profil aquilin et à ses boucles noires, si son teint était plus typiquement anglais.)
Je fus forcée de céder cette fois-là, car les dégâts occasionnés sur le velours noir par une escalade de la pyramide auraient rendu le costume hors d’usage. Une expression soucieuse traversa le visage de Ramsès lorsque j’exprimai cette opinion, mais il ne proposa pas malgré tout, comme je l’avais à demi espéré, de porter le costume.